Caro fait son marché : un marché à taille (et à l’âme) humaine

Anaïs Philippon - 11 décembre 2020

“Caro fait son marché” c’est l’histoire de Caroline Desquest, 50 ans, mère de quatre enfants, quadrilingue, experte dans le commerce international, qui n’avait rien demandé à personne, mais qui, parce qu’elle aime le contact et les gens, s’est mise à vendre des fruits et légumes chez elle. Bref, tout ça n’a pas beaucoup de sens, mais vous allez comprendre !

Caro fait la popote

Après avoir passé une étroite cour à moitié occupée par des tentes, Caroline m’accueille dans son salon avec une tasse de café. A la question « Racontez-moi comment tout cela a commencé », elle me répond : « Vous n’allez pas me croire, mais ce n’est pas moi qui ait eu l’idée, c’est l’idée qui est venue à moi ! ». Elle a raison : je ne la crois pas ! J’ai tendance à penser qu’on est entrepreneuse ou qu’on ne l’est pas, qu’on trouve la niche quand on la cherche, qu’un projet se mijote ; « business is business » quoi ! Pourtant, rien ne prédestinait Caroline à devenir primeur. Passionnée de langues, elle part à 20 ans en Allemagne où elle étudie le commerce international et décroche son premier job. Quatre ans plus tard, elle revient pour devenir assistante export à Troyes où elle rencontre son futur mari. Au gré des mutations de celui-ci, Caroline continuera à travailler en logistique à Strasbourg, comme Responsable Service Client Export à Toulouse ou dans l’événementiel pour un lobby parlementaire européen à Bruxelles. Tout cela avec un enfant de plus dans les valises… Un peu warrior quand même ! C’est la naissance de leur troisième enfant à Bruxelles qui fait basculer les choses : « ça été très difficile avec Augustin, parce que tout de suite après sa naissance il a fait des angines carabinées, il avait des réactions ORL terribles qui se terminaient systématiquement à la Ventoline et à la Bécotide. A 9 mois, il a été hospitalisé sous oxygène et cortisone et là on s’est dit que ce n’était plus possible, qu’il fallait que ça cesse ». Son mari lui passe un livre qui l’interpelle (4 groupes sanguins – 4 régimes du Docteur Peter J. d’Adamo). Bien que les médecins lui aient certifié l’absence d’allergies, Caroline décide de changer son alimentation : exit le gluten, le sucre raffiné, le lactose, les huiles chauffées, les acides et produits transformés. « Cela a réduit considérablement le champ des possibles en termes de cuisine : je ne pouvais plus faire de pâtes, de sauces bolognaises ou de hachis, finis tous les plats faciles et rapides (poissons panés, cordons bleus, plats préparés etc.). Il ne restait plus que les fruits et légumes… (tiens donc !). Il a fallu que je me creuse la cervelle pour trouver des recettes adaptées. Ça a révolutionné ma façon de cuisiner et nos habitudes alimentaires à tous !» s’exclame Caroline en me tendant une assiette de Lebkuchen, délicieuses spécialités allemandes de Noël.

©Art Shooting/Gwenola de Crémiers

Débarque alors un grand dadet d’un mètre quatre-vingt-dix, blouson de cuir et mèche rebelle, qui commence à se tartiner sous nos yeux des pancakes de sarrasin. « Voilà mon Augustin, c’est son frère qui les a cuisinés » me dit fièrement la maman à qui j’en profite pour demander ses recettes miracles. La consommation de riz d’épeautre, de farines bios non hybridées (d’épeautre ou de sarrasin) dans les pâtisseries, et de légumes à foison dans des poêlées variées, a profité à toute la famille : « c’est toute une philosophie du bien-être que j’ai découvert à travers cette façon de cuisiner. J’ai eu le foie détruit par le Levotyrox, je subissais mes humeurs en dents de scie, je dormais mal, et tout cela a disparu depuis nos changements alimentaires. Pour moi, tout est lié, notre corps, notre esprit et notre cœur. Mes autres enfants aussi ont perçu des changements dans leur concentration, leur moral, c’est incroyable ! J’ai envie de le dire notamment aux parents d’enfants qui ont des troubles de l’attention ou d’hyperactivité, car j’en ai fait les frais » témoigne avec émotion celle qui, concernée par la question, a monté trois “Chantiers-Education Zèbres” à Versailles pour enfants à haut potentiel. « Pour moi, “Caro fait son marché” s’inscrit logiquement dans ce que j’ai envie de transmettre, et si je peux, par là, faire bénéficier, ne serait-ce qu’un petit bout de la voie sur laquelle je suis, alors je serais heureuse » me confie-t-elle. L’heure tourne et je prie pour ne pas repartir de ce marché avec une prune. Caroline est intarissable, elle aime parler ! Et de la popote à la papote il n’y a qu’un pas, ou qu’une lettre !

Caro fait la papote

Elle est comme ça : sociable, volubile, philanthrope, parlant avec passion et curiosité. Caro se nourrit surtout du contact des autres et a cette capacité de nouer des liens rapidement avec tout le monde. Alors, au bout de 14 ans à Versailles, son petit marchant de légumes la connaît bien ! C’est donc tout naturellement qu’il l’appelle ce jour où il se trouve dans le pétrin : « Il sait que j’achète les fruits et légumes en quantité, alors parfois, il m’appelle quand il a du surplus et je lui rachète à prix coûtant, ça lui évite des pertes. Un jour il me dit qu’il a quelques colis de framboises et d’abricots en trop, alors je lui dis de les déposer dans la cour. Mais quand je suis arrivée il y avait des montagnes de cageots qui tapissaient toute l’entrée. Je me suis dit « mon Dieu, mais qu’allons-nous faire de tout ça ?! » Afin d’écouler le stock, elle propose les barquettes à prix coûtant sur le groupe Facebook des Petites Versaillaises. En cinq heures, tout est parti. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le mercredi suivant elle reçoit des textos de ses amies : « t’as quoi cette semaine ? » Se tournant vers son marchand, elle se dit que si ça permet d’éviter de jeter les invendus et à ses amies de récupérer de bons produits à meilleur prix, c’est du gagnant-gagnant. C’est ainsi que l’habitude est prise par son primeur de lui déposer régulièrement ses invendus du marché du Chesnay qu’elle redistribue les mercredis et jeudis après-midi chez elle. Petit à petit, les mamans affluent, ce qui lui demande beaucoup d’organisation et d’espace. Elle sacrifie sa cour afin de permettre à tout le monde de circuler et faire son marché, ravie de servir un café à celles qui viennent aussi pour discuter avec les copines. On comprend que la buvette aurait été installée depuis longtemps si l’espace avait été suffisant, car c’est cet aspect convivial et communautaire que Caroline affectionne.

©Art Shooting/Gwenola de Crémiers

Une amie lui fait remarquer cependant que le travail et le temps qu’elle y consacre méritent salaire. C’est donc en 2019 qu’elle passe le pas et se déclare auto-entrepreneure. Traitant avec différents partenaires ou avec Rungis directement, Caro sélectionne avec exigence les produits qu’elle veut pour ses étals. Alors oui, les fruits et légumes ne sont plus à prix coûtant, mais ils gardent toutefois un bon rapport qualité-prix. Le confinement lui fait passer à la vitesse supérieure en développant les commandes et un service livraison. L’ancienne responsable export qui sommeillait a ressorti ses antennes et suit à présent de très près le cours de ses produits afin de les ajuster au mieux sur son site. Mais les variations, parfois trop rapides, peuvent être difficiles à gérer. Alors, quand le prix du chou-fleur s’envole, elle n’hésite pas à prévenir ses clients pour leur permettre d’annuler leur commande s’ils le souhaitent. Une commerciale sacrément mère-poule ! « Ce que j’aime le plus, affirme Caro dans un sourire de mamie-nova, c’est quand les gens viennent à mon marché pour papoter. Si vous saviez le nombre de personnes qui sont reparties avec les yeux brillants et des solutions sous le bras. Mettre les gens en lien pour dénouer les situations, c’est ça qui me fait vibrer ».

Aujourd’hui, “Caro fait son marché” est une entreprise familiale qui advient comme une bénédiction. Son mari, au chômage pendant le confinement, l’a en effet rejointe dans l’aventure. Mettant tous leurs œufs dans le même panier, ils ont choisi toutefois d’élargir l’offre avec des produits du terroir qu’ils consomment et qui leur tiennent à cœur. Le Jurançon du Clos Uroulat, le miel et la tomme des Pyrénées reviennent dans leurs bagages au retour des vacances dans leur fief familial, le brezain (fromage à raclette) provient d’Annecy où habite sa sœur, et les Côtes rôties, du Clos du Pigeonnier où sa fille, étudiante en œnologie, a fait un stage. Créative, elle est toujours à l’affût de nouveaux partenariats pour proposer d’autres produits comme de la boulangerie bio ou des céréales en vrac.

Quand Caroline me parle de terroir, j’ai le sentiment que la boucle est bouclée pour cette ancienne petite fille de la campagne qui a grandi au milieu des vergers de pommes et de cerises à la frontière Yvelinoise, près de Houdan. Elle se souvient des récoltes pour les compotes et les confitures qu’elle préparait avec sa mère et ses trois sœurs. C’est certainement là qu’ont été semés l’amour des bonnes choses, du bien-être, de l’anti-gaspi, du partage et de l’esprit d’audace, ces valeurs que les épreuves de la vie ont ensuite fait germer et que les Desquest sont à présent heureux de transmettre.

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