La Racine : une monnaie verte à Versailles

Anaïs Philippon - 25 juin 2019

« L’argent est partout, mais nous ne savons ni comment il est créé, ni ce qu’il implique » affirme Rob Hopkins, enseignant en permaculture et initiateur de villes en transition en Angleterre. Selon lui, l’argent serait créé par des banques privées dont la motivation est de gagner de l’argent et de rémunérer ses actionnaires, mais nullement de répondre aux besoins réels des communautés. Développer sa propre monnaie locale permettrait de recréer un système économique vertueux et écologique, c’est pourquoi de plus en plus de villes s’y mettent. En France, il existe déjà une cinquantaine de monnaies complémentaires et depuis peu, Versailles a la sienne : la Racine !

A l’origine de la Racine

L’idée germe en 2015 en vallée de Chevreuse. Après la loi de 2014 sur l’économie sociale et solidaire autorisant les monnaies complémentaires, le Parc Naturel Régional de la vallée se penche sur la question et confie à un collectif de citoyens l’étude et la mise en place d’une monnaie locale. La Racine sort de terre en 2017 sous forme d’association d’abord. 600 personnes participent à une consultation générale pour déterminer le nom de cette monnaie. C’est finalement « La Racine » qui est choisie, en référence, d’une part, au dramaturge qui passa de nombreuses années à Port-Royal ; en écho également à un plus grand respect de la nature qu’engendre la monnaie locale, mais aussi pour la symbolique qu’elle suggère : « les utilisateurs de Racines s’appellent des « enracinés » parce qu’ils puisent leurs ressources au sein de leur territoire et qu’ils œuvrent également pour lui » nous confie Sébastien Cattanéo, co-président de l’association. Le lancement officiel a lieu en octobre 2018, avec de beaux billets frappés à l’effigie de Jean Racine. « Au début, ça ne devait concerner que quelques villes de la vallée de Chevreuse, explique Sébastien, mais petit à petit, d’autres villes sont venues nous demander de faire partie du réseau ».

Pourquoi une monnaie locale?

C’est le film « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent, sorti en décembre 2015, qui contribue à faire connaître cette pratique auprès du grand public. Dans le film, Mélanie et Cyril vont à la rencontre de personnes qui ont changé de mode de vie et qui prouvent qu’il existe des alternatives possibles face aux enjeux écologiques, énergétiques et économiques de nos sociétés.  Nous découvrons notamment comment certaines villes ont lancé leur propre monnaie afin de redynamiser l’économie locale. Explication.

En adhérant à une monnaie locale, les commerçants vont chercher à s’approvisionner auprès de producteurs utilisant cette monnaie, donc dans leur périmètre. Cela évite ainsi les transports de marchandises et donc réduit les émissions de Co2. Par exemple, au lieu de faire imprimer ses tracts ou étiquettes sur internet on va chercher un imprimeur à proximité. Une monnaie locale circule aussi 4 fois plus qu’une monnaie classique : comme elle ne peut s’épargner, elle va être directement réutilisée, générant davantage de transactions entre les PME/commerçants, et impactant par là l’emploi et la diversité des activités. Selon Sébastien Cattanéo : « quand on achète quelque chose en euro, l’argent n’est pas réinvesti localement, il part directement en banque qui le place dans des investissements internationaux (le pétrole, le phosphate, le plastique…) Au niveau local on n’en voit pas la couleur. Une monnaie complémentaire empêche donc l’argent de s’évaporer, protège les PME et créé un circuit court ».

Pourquoi cela force-t-il la diversité de production ? Si je sais que les imprimeurs de ma ville cherchent des fournisseurs de papier près de chez eux, je vais pouvoir lancer une fabrique de papier. De la même manière pour le transport, l’énergie, l’alimentaire, etc. Ainsi, la commune va devenir plus riche, plus autonome et donc plus résiliente en cas de crise. C’est d’ailleurs après le crash de 1929 que sont apparues les premières monnaies dites « citoyennes », comme dans la ville de Worgl en Autriche, où le shilling local a éliminé le chômage qui avait grimpé de 30%, a permis aux habitants de retrouver du pouvoir d’achat, de se nourrir en dehors des tickets de rationnement et de vivre correctement, contrairement aux autres villes autrichiennes qui subissaient de plein fouet la dévaluation de la monnaie classique. En France les plus connues sont l’Eusko en pays basque, La Pêche à Paris ou le Cairn à Grenoble. Certaines sont actives depuis 2010, il était temps que Versailles s’y mette!

La Chevreuse étend ses racines à Versailles

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Monnaie locale – Commerçants acceptant la Racine à Versailles. Béatrice Leguerchois

C’est au festival d’Alternatiba (association qui promeut des solutions environnementales), en 2017 à la Mairie de Versailles, que François Wauquier découvre l’existence de la Racine en vallée de Chevreuse. Quelques jours avant, il venait de voir le film « Demain » qui l’avait inspiré. Heureuse coïncidence, il ne tarde pas à aller rencontrer les responsables et à se former. « En organisant des réunions publiques, notamment via le réseau des Colibris dont je fais partie, des personnes m’ont rejoint et ont accepté de constituer une équipe de bénévoles ».  Ceux-ci ont commencé à démarcher les commerçants versaillais à l’été 2018, mais sans grand succès. Ce n’est qu’en février 2019 qu’un premier commerçant adhère au projet, déclenchant un effet boule de neige et réunissant, trois mois plus tard, 14 boutiques.  François et son équipe continuent d’interpeller les commerçants : « beaucoup de nos adhérents sont des boutiques bio parce qu’ils ont des valeurs écologiques et sont convaincus des bienfaits de la monnaie locale, mais sinon dans l’alimentaire, la plupart s’approvisionnent à Rungis. On essaye de les faire réfléchir sur d’autres moyens de fonctionner, de voir s’il y a des possibilités en local, et donc de travailler de manière plus écologique et plus solidaire ».

Des Racines et du zèle

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Monnaie locale – Boutiques de Versailles acceptant la Racine. François Wauquier

Si on comprend facilement les avantages d’une monnaie locale pour les commerçants, quel intérêt pour les particuliers de l’utiliser ? Privilégier les achats locaux en euros n’est-il pas déjà suffisant pour soutenir les commerces ? Certes, c’est un premier pas, mais, comme dit plus haut, cet argent ne reste pas dans la région (90% de l’argent en circulation se trouve sur les marchés financiers mondiaux).  Seule la Racine peut faire circuler l’argent sur le territoire. Le particulier n’en retire aucun bénéfice si ce n’est d’encourager davantage de commerçants à s’enraciner et par là d’agir sur l’emploi, la richesse et la diversité des activités de sa commune. C’est une action de solidarité en adéquation avec une recherche de transition écolo-nomique. A Bristol, le Maire de la ville a même accepté que les impôts locaux soient payés en Bristol Pounds et de recevoir son salaire en monnaie locale ! Un bel exemple d’engagement pour sa ville.

Concrètement : 1 Racine = 1€. Et si l’on souhaite récupérer les 100€ que l’on a échangés en Racines, pas de panique, ceux-ci sont sécurisés sur une banque (La NEF) qui soutient des projets écologiques et éthiques. « La NEF va prêter, par exemple, à un maraîcher qui veut développer son activité, ou bien va placer l’argent dans les énergies renouvelables », précise François Wauquier, qui nous conseille de nous enraciner (même si l’on n’est pas Versaillais de souche!), afin de résister, notamment, à la prochaine crise économique qui, selon certains spécialistes, s’annonce plus grave encore que celle de 2008 !   

Pour aller plus loin

www.laracine-monnaie.fr

www.lanef.com

Les boutiques acceptant La Racine et comptoirs de change à Versailles :

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