Versailles et les parfums : Quand la cité royale nous mène par le bout du nez

Candice Rivière - 13 juin 2023

Versailles et les parfums, c’est une histoire d’amour qui dure. De Louis XIV, « roi le plus fleurant du monde » à la « Cour parfumée » de Louis XV, en passant par les senteurs florales prisées par Marie-Antoinette, le parfum fait l’objet d’un véritable engouement aux XVIIème et XVIIIème siècles. Cet héritage se perpétue aujourd’hui : Versailles accueille l’une des plus illustres écoles de parfumerie, l’ISIPCA, ainsi qu’un conservatoire international des parfums, l’Osmothèque. À l’occasion de l’inauguration du Jardin du Parfumeur, dans le domaine de Trianon, zOOm vous propose d’explorer le lien séculaire qui unit la cité royale et les parfums, à travers un parcours olfactif, historique et culturel.

Le Jardin du Parfumeur

Un nouveau jardin pour célébrer les 400 ans du château de Versailles

Jardin du parfumeur Château de Versailles

© Candice Rivière

2023 marque le 400ème anniversaire du château de Versailles. À cette occasion, les équipes du domaine ont souhaité mettre en lumière la place des parfums à la Cour en créant le Jardin du Parfumeur. Fin 2021, les premiers coups de pelle sont donnés face à l’Orangerie de Châteauneuf, au cœur du domaine de Trianon. C’est ici que Marie-Antoinette entreposait ses orangers chaque hiver pour les mettre à l’abri des frimas. La reine veillait farouchement sur ces petits arbres, allant même jusqu’à les faire garder nuit et jour.

Sur une surface de 9 000 mètres carrés s’épanouissent 300 espèces de végétaux qui composent la palette du parfumeur. Pour élaborer ses fragrances, ce dernier utilise non seulement leurs fleurs, mais aussi leurs feuilles (patchouli), leurs graines (carotte), leur écorce (cèdre), leur résine (benjoin), et même leurs fruits (vanille). Les roses trônent en majesté dans cet écrin de verdure. S’il en existe des centaines de variétés, seules deux sont utilisées en parfumerie : la rose centifolia, dite rose aux cent feuilles ou rose de mai, et la rose bulgare ou rose damascena. Cultivées sous abri au XVIIIème siècle – comme dans cette serre enterrée tout juste restaurée, elles fleurissaient tout au long de l’année.

Outre les roses, les plates-bandes regorgent d’œillets, d’iris, de tubéreuses à l’odeur suave très intense et de lys. Les orangers ont, eux aussi, une place de choix au cœur de ce nouveau jardin. En parfumerie, on utilise aussi bien les graines que les zestes ou les fleurs. Celles du bigaradier, par exemple, servent à produire l’essence de néroli. « C’est le cochon du parfumeur, rien ne se perd » plaisante l’historienne Elisabeth de Feydeau, spécialiste des parfums. À la fin de son règne, Louis XIV délaissera les effluves puissants à base d’ambre ou de musc pour la senteur, plus délicate, de l’eau de fleur d’oranger.

Trois jardins et un mécène

Le Jardin du Parfumeur est divisé en trois espaces à l’identité et à l’atmosphère distinctes. Depuis le « Jardin des curiosités », surplombé par un immense paulownia, on chemine « Sous les arbres » en empruntant une allée bordée de cerisiers du Japon, lilas, seringats et rhododendrons. On traverse ensuite le verger, pour atteindre le « Jardin secret », petit salon de verdure entouré d’un mur de pierre. Le banc placé sous l’immense laurier du Caucase invite le visiteur à la contemplation. Ici la nature reprend ses droits, très loin des jardins à la française et de leurs parterres tracés au cordeau. Iris, lys, œillets des poètes, vivaces, orchidées et angélique se côtoient dans un joyeux fouillis.

Ce nouveau jardin a vu le jour grâce au mécénat du parfumeur Francis Kurkdjian, qui entretient un lien de longue date avec le château de Versailles. Alors élève à l’ISIPCA, il rejoint la compagnie de danse Versailles Soleil, et se produit les soirs de Grandes Eaux. Suivront plusieurs projets, installations ou expérimentations – ses « épopées versaillaises » comme il aime à les nommer. Pour donner vie au Jardin du Parfumeur, Francis Kurkdjian a travaillé en collaboration avec l’équipe des jardiniers, emmenée par Giovanni Delù. Ensemble, ils ont choisi les essences qui composent ce tableau olfactif. Comment garantir une floraison alternée tout au long de la saison ? Quid des fleurs « muettes », celles qui, comme les jacinthes, pivoines ou violettes, dégagent une odeur puissante, mais dont il est impossible d’extraire le parfum ? Quelles variétés planter pour restituer le plus fidèlement possible les effluves des siècles passés ?

Fruit d’une double expertise, le Jardin du Parfumeur est accessible sur visite guidée. Vous y découvrirez  les secrets des jardins odoriférants, et l’usage des parfums à la Cour. En parallèle, petits et grands pourront exercer leur nez et s’initier au processus de fabrication d’un parfum lors d’ateliers. Rendez-vous sur chateauversailles.fr pour réserver votre expérience olfactive.

Versailles, berceau du métier de parfumeur

De l’essence à la fragrance

Jardin du parfumeur - Château de Versailles

© Stéphanie Sanchez Incera – Candice Rivière

Depuis toujours, le domaine de Trianon ravit les yeux et les narines des visiteurs. Le Trianon de Porcelaine, construit sous Louis XIV, est surnommé « Palais de Flore » en raison de la beauté de ses jardins. Louis XV se passionne pour la botanique, et importe cèdre du Liban ou sophora du Japon avec l’aide de Bernard de Jussieu. En 2012, l’historienne Elisabeth de Feydeau publie L’Herbier de Marie-Antoinette sous la direction d’Alain Baraton, jardinier en chef du domaine du château de Versailles. Grâce à un important travail de recherche, elle dresse l’inventaire des fleurs, arbres et plantes odoriférantes présents dans les jardins de Trianon au XVIIIème siècle.

Grande amoureuse des fleurs, Marie-Antoinette fait planter du muguet et de l’angélique dans le Bosquet de la solitude, des roses, du lilas et des tubéreuses autour du Temple de l’Amour, des violettes dans le Jardin anglais, du jasmin et du myrte au Belvédère, sans oublier l’iris, perché sur les toits des chaumières du Hameau de la Reine car ses racines retiennent la terre. C’est justement le rhizome (tige souterraine à laquelle s’attachent les racines) qui est utilisé en parfumerie, dégageant cette senteur poudrée et boisée si caractéristique.

Un terreau fertile à la création

À l’origine, le parfum a une fonction hygiéniste et prophylactique : il éloigne la maladie. Ce n’est que plus tard que l’on se parfume pour sentir bon. Jean-Michel Fargeon, héritier d’une longue lignée d’apothicaires et de parfumeurs montpelliérains, installe sa manufacture à Suresnes pour distiller la rose de Puteaux. Devenu créateur de fragrances attitré de Marie-Antoinette, il parfume sachets, gants et éventails, allant même jusqu’à mettre au point des pommades au jasmin pour les cheveux. À la demande de la souveraine, il compose le « Parfum de Trianon », qui associe fleur d’oranger, lavande, essence de bergamote et de cédrat, iris, jasmin, tubéreuse et musc. Les techniques se perfectionnent. On pratique l’enfleurage à froid pour extraire un absolu des variétés de fleurs les plus fragiles.

C’est pour s’inscrire dans cet héritage qu’Elisabeth de Feydeau a créé les bougies Arty Fragrance. « J’ai associé une démarche historique à la création de senteurs résolument contemporaines, afin de restaurer un art de vivre et une élégance qui caractérisent la France. Je travaille à partir d’écrits anciens et des matières les plus nobles de la parfumerie ». Ainsi, « Luxe » retranscrit son premier contact olfactif avec le château : l’odeur de l’encaustique avec lequel on cire les parquets, mêlée à celle du feu de bois. « Le Rêve de la Reine », « Jardins et bosquets », « La Fleur du Roy » : autant de façons de conter Versailles en parfums.

(Re)découvrez l’article que nous avions consacré à Arty Fragrance.

L’Osmothèque, conservatoire international des parfums

2 000 ans d’histoire olfactive

Versailles et les parfums - Osmothèque, conservatoires international des parfums

© Candice Rivière

Direction l’un des lieux les plus méconnus de Versailles. Depuis 1990, le campus de l’ISIPCA (Institut Supérieur International du Parfum, de la Cosmétique et de l’Aromatique alimentaire) abrite l’Osmothèque, un conservatoire international des parfums unique au monde. Cette institution culturelle à but non lucratif (Association loi 1901) a été créée par des parfumeurs professionnels désireux de préserver le patrimoine olfactif, et de réaliser une classification des parfums afin d’établir un référentiel commun.

Grâce aux équipes de l’Osmothèque – composées principalement de parfumeurs bénévoles, des centaines de parfums disparus ont pu être « repesés », c’est-à-dire recréés à l’identique. Lorsque cela est possible, les professionnels se basent sur la formule originale, obtenue auprès des maisons de parfumerie ou des ayants droit. Si cette dernière a disparu, ils s’appuient sur les travaux de recherche pour en restituer la version la plus fidèle possible.

Une fois repesé, le parfum est stocké dans la cave de l’Osmothèque, à l’abri de la lumière et des variations de température. Du Parfum Royal (1er siècle) aux chefs de file de la parfumerie moderne, en passant par les créations contemporaines, cette « bibliothèque nationale des parfums » rassemble une collection de 5 500 jus, qui sont autant de témoignages de techniques, de savoir-faire, de modes et de goûts. En retraçant 2 000 ans d’histoire olfactive, l’Osmothèque constitue à la fois la mémoire vivante d’une profession et un conservatoire d’émotions et de souvenirs.

Préservation, transmission et recherche : les trois missions de l’Osmothèque

Versailles et les parfums - Osmothèque, musée du parfum

© Anne-Cécile de la Martinière – Candice Rivière

Outre la préservation de la mémoire du parfum, l’Osmothèque s’affirme comme une plateforme de convergence entre les chercheurs qui étudient le parfum, sous un angle historique ou sociologique par exemple, et les professionnels de la parfumerie.

Le conservatoire des parfums poursuit également une mission de transmission auprès du public. Il propose une riche programmation culturelle, avec plus d’une centaine d’événements olfactifs par an : journées portes ouvertes, conférences, ateliers, colloques… Il accueille non seulement les professionnels et les étudiants en parfumerie, mais aussi le grand public. En présentant ses collections, l’Osmothèque s’attache à faire connaître l’histoire de cette discipline à la croisée de la création et de la technique. Ce lieu unique au monde permet aux visiteurs de découvrir ou redécouvrir des parfums et parfumeurs de légende, des maisons Guerlain, Coty, Houbigant ou Caron aux fragrances des couturiers Chanel, Patou, Lanvin ou Schiaparelli.

Les conférences ont lieu à Versailles ou en ligne. Au mois de juin, l’Osmothèque vous invite à découvrir la parfumerie fonctionnelle. Cette branche méconnue de la discipline, que l’on distingue de la parfumerie « fine », concerne aussi bien les savons que la lessive, les détergents ou la laque. Depuis peu, les collections de l’Osmothèque se sont enrichies de ces parfums du quotidien qui appartiennent, eux aussi, au patrimoine olfactif.

Pour sensibiliser les plus jeunes au monde des odeurs, l’Osmothèque organise des ateliers d’éveil olfactif « petits nez ». Elle propose également des ateliers de découverte dans le cadre d’anniversaires.

L’Osmothèque | 36 rue du parc de Clagny 78000 Versailles | 01 39 55 46 99 | www.osmotheque.fr | Facebook | Instagram

Du quartier Saint-Louis à celui des Antiquaires, promenade olfactive dans la cité royale

La Cour des Senteurs et son jardin

Versailles et les parfums - Cour des senteurs

© Candice Rivière

À 100 mètres du château, la Cour des Senteurs permet de relier la place d’Armes au quartier Saint-Louis. Traversez la place pour rejoindre le Jardin des Senteurs. Imaginé par l’architecte et paysagiste Nicolas Gilsoul sur l’ancien domaine du couvent des Récollets, il compte une centaine d’espèces végétales. La cour, plantée de fougères et d’hémérocalles, associe métal et bois pour initier les promeneurs au langage du parfumeur et à ses matières premières fétiches. Un passage couvert mène au jardin, petit écrin bucolique d’où l’on aperçoit le clocher de la cathédrale Saint-Louis. Aux beaux jours, c’est une explosion de senteurs et de couleurs, pour le plus grand plaisir des yeux comme des narines.

Maison Alchymiste, parfums de confidence à Versailles

Versailles et les parfums - Maison Alchymiste, parfumerie

© Candice Rivière

Maison Alchymiste a ouvert ses portes début 2023. Cette boutique, conçue comme un cabinet de curiosités, sert d’écrin aux fragrances de 13 maisons de parfumerie dites « de niche », 11 françaises et 2 italiennes. 13 maisons, 13 univers : Anaïs Biguine puise son inspiration chez les grands écrivains, Une Nuit Nomade invite au voyage, quand Maison Tahité décline à l’envi la vanille, le cacao ou le café.

Jérémy Vieira, qui a fait ses gammes à l’ISIPCA, nous en parle avec passion. Le vocabulaire est si précis, la description si fouillée, que l’on a presque l’impression que le parfum envahit nos narines avant même d’avoir débouché le flacon. Ingrédients haut de gamme, matières premières d’exception : ici la parfumerie est élevée au rang d’art. Vous y trouverez la fragrance unique qui vous correspond, celle que n’aura pas votre voisin(e) de métro ou de bureau. « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » : Maison Alchymiste vous offre les deux.

Maison Alchymiste | 64 rue Royale 78000 Versailles | 01 61 12 14 42 | www.maisonalchymiste.com | Instagram

State of Mind : la rencontre du parfum et du thé

Versailles et les parfums - State of Mind, salon de thé olfactif

© State of Mind

Le goût et l’odorat sont deux sens intimement liés. Partant de ce constat, State of Mind propose une expérience olfactive et gustative autour d’un duo de parfum et de thé. Sa fondatrice, Catherine Laskine-Balandina, travaille en étroite collaboration avec deux experts : Olivier Scala, maître de thé, qui sélectionne et assemble des thés venus des quatre coins du monde, et la parfumeuse Karine Dubreuil-Sereni, passée par Guerlain, Lanvin, Gucci, L’Artisan Parfumeur ou L’Occitane. Ensemble, ils interprètent différents « états d’esprit » à travers le prisme du goût et de l’olfaction, pour donner naissance à une ligne de duos thé-parfum. Passez la porte du salon de thé olfactif d’inspiration Art déco installé dans le quartier des Antiquaires pour vivre une expérience sensorielle unique en son genre.

State of Mind | 5 rue du Bailliage 78000 Versailles | 01 39 66 86 87 | www.stateofmind.fr | Facebook | Instagram

 

Photo à la une : © Candice Rivière

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