La maison Drusch de l’architecte Claude Parent à Versailles : entretien avec François de Mazières

France Martin-Monier - 26 mars 2024

Versailles a su conserver un patrimoine architectural exceptionnel parfois très ancien, des demeures uniques qui sont le reflet d’une époque. Il y a quelques temps, zOOm vous avait présenté la maison d’Édouard Charton au 15 de la rue du même nom et dont l’origine remonte à 1757, date de la construction du logis de l’apothicaire de Louis XV, puis celle du 6 rue Solférino construite dans le quartier de Clagny en 1858 dans un style néo-classique. Aujourd’hui, c’est la maison Drusch construite de 1963 à 1965 située au 38 avenue Douglas Haig que l’équipe de zOOm vous présente, toute de béton, comme en équilibre entre la terre et le ciel.
zOOm a interrogé François de Mazières, maire de Versailles et passionné d’architecture.

Qui est Claude Parent (1923-2016), architecte de la “fonction oblique” et fou de béton ?

« Claude Parent était un homme qui faisait preuve d’une grande liberté de pensée, atypique, amusant et raffiné. C’était un merveilleux dessinateur » raconte François de Mazières qui l’a bien connu. En sont la preuve ses innombrables dessins très géométriques dans lesquels celui-ci nous révèle sa vision de la ville fondée sur l’oblique et la vitesse, ou ses caricatures dans de drôles de carnets qu’il réalisait pour ses petits-enfants. Il met en scène de façon satirique architecte et promoteur immobilier dans son conte de Noël dans lequel “un type qui a une idée cherche un autre type qui a du fric pour développer son idée”.

Extrait de son conte de Noël et dessin « surplomb de l’incision » réalisé en 2007 extrait de l’ouvrage “Claude Parent, l’œuvre construite, l’oeuvre graphique”.

Claude Parent a étudié les mathématiques puis l’architecture aux Beaux-Arts de Toulouse, puis aux Beaux-Arts de Paris, mais a décidé de quitter l’école avant le diplôme. Il a créé son agence d’architecture en 1956. Nous retiendrons de lui la fameuse fonction oblique qu’il théorise avec le philosophe Paul Virilio en 1963. L’idée est que la position horizontale est ennuyeuse et que l’individu en déséquilibre devient actif et vigilant pour prendre conscience de son corps. C’est donc la structure de l’habitat qui va mettre l’homme en mouvement. La propre maison de Claude Parent, la villa des Peupliers, à Neuilly-sur-Seine, où il est né et où il a vécu, est un modèle du genre.

Chloé Parent, sa fille, raconte : « bien sûr la fonction oblique était cette belle utopie, cette théorie dont les adultes autour de moi débattaient avec passion. Mais pour moi, c’était ma maison, mon sweet home. Les pentes étaient mon univers de jeu, de lecture, de repos, de travail, mon poste d’observation. J’y avais mes niches dans une maison sans meubles et sans portes (ou presque). J’étais en rupture sociale, en marge. Je n’appartenais pas à ce monde bourgeois fait de meubles anciens hérités des aïeux, de salles à manger statiques où trônaient une table ronde entourée de 6 chaises, de commodes encombrées de bibelots, ou de portes et de longs couloirs. »

Le béton qu’il vénère lui permet d’imprimer dans les bâtiments sa marque de fabrique. Ainsi, dans ces réalisations, se trouvent des habitations privées comme celle d’André Bloc à Antibes (1959-1962) ou de la famille Drusch à Versailles (1963-1965), des centrales nucléaires en Moselle (1978-1990) ou en Ardennes (1979-1980), des centres commerciaux à Ris-Orangis (1967-1971) ou à Sens (1967-1970), une église Sainte-Bernadette-du-Banlay à Nevers (1963-1966) et beaucoup d’autres réalisations.

crédit photo : ville de Nevers

Sainte Bernadette à Nevers © Ville de Nevers

En quoi la maison Drusch est-elle une œuvre emblématique de Claude Parent ?

© Laurent Kronental

Construite pour l’industriel Gaston Drusch, sa femme et ses trois enfants sur une parcelle d’environ 1 200 m2, en lisière de forêt, la maison se détache des constructions voisines et vient manifester clairement le déséquilibre que Claude Parent cherche à introduire depuis plusieurs années dans ses maisons.”C’est celle qui va lui permettre de passer une étape en allant au bout de son raisonnement” nous indique François de Mazières.

La mise au point a représenté plus d’un an de discussions presque journalières. Claude Parent a d’abord réalisé une maquette qui a fixé dans ses moindres détails l’ensemble de la maison. Celui-ci et Monsieur Drusch ont participé à part égale dans cette création.

© Laurent Kronental

Cette maison oblique modifie fondamentalement ce que l’on a l’habitude de voir. 

La maison est comme fracturée en deux volumes distincts. Dans un premier volume se trouvent chambres, cuisine, sanitaire et garage ; dans un second volume très vitré se trouve le salon sur deux niveaux. Au sud a été créé une piscine dont les lignes sont en total continuité avec le reste de l’habitat. Le toit d’ardoises du salon, incliné, accentue le basculement. La puissance graphique du béton armé vient renforcer la séparation des deux volumes.

ArtShooting maison Drusch

© ArtShooting/Gwenola de Crémiers

La lumière est très importante et le salon, la salle à manger et les chambres ouvrent largement sur le jardin et les bois environnants. L’intérieur de la maison a été aménagé par le décorateur Roger Fatus : peu de meubles, mais des banquettes intégrées à l’architecture qui rompent l’étendue du salon mais de façon discrète. La table de salle à manger est aussi réalisée par ce même décorateur. 

Les propriétaires actuels qui s’y installent en famille ont été séduits par le volume des cubes de béton, l’originalité et l’énergie qui circule grâce à la proximité de la forêt. Cette maison qui bouleverse les codes imposés correspond à leur état d’esprit et leur permet de penser que rien n’est impossible. 

Aujourd’hui, est-ce que vous pensez que ce type de construction pourrait encore advenir ?

« Cette architecture fondée sur le béton ne pourrait plus se réaliser aujourd’hui car ce matériau est très mauvais au niveau environnemental. De plus, le béton vieillit parfois difficilement, s’effrite. Aujourd’hui c’est le retour de la pierre, du bois, du chanvre, de la brique » nous explique François de Mazières.

« Cette maison s’inscrit vraiment dans cette période des Trente Glorieuses, une période résolument optimiste : les architectes vivent dans le culte de la vitesse et de l’industrie, affirment une volonté de rupture avec le passé et veulent afficher une modernité incroyable » indique François de Mazières.

Peut être pouvons-nous faire nôtre cette interrogation de Claude Parent écrite en 1993 dans une chronique sur l’Art et l’Architecture ? “Est-il possible de faire coexister et de mettre en cohérence une architecture moderne, créatrice avec le patrimoine, le monument historique, le passé ?”

Si la maison Drusch est toujours aujourd’hui une propriété privée, n’hésitez pas à l’admirer de l’extérieur et à nous dire ce qu’elle évoque pour vous ou quelles émotions elle vous fait ressentir. z00m a été conquis par les lignes épurées et l’organisation de l’espace qui fait basculer dans un univers onirique

Merci à François de Mazières, Chloé Parent, Maria Gamalari et Laurent Kronental qui m’ont permis de réaliser cet article.

Photo à la une © Laurent Kronental

zOOm a besoin de vous !
Chère lectrice, cher lecteur : pour préserver son identité et son indépendance, zOOm Versailles ne diffuse pas de publicités et repose uniquement sur les dons pour faire fonctionner le site. Si vous souhaitez nous aider, c’est par ici. Bien sûr, votre don en faveur de zOOm Versailles ouvre droit à une réduction fiscale. Merci !

 

Partager

Articles similaires
Contactez-nous