Une demeure en 1858 à Clagny à Versailles : villégiature d’été pour parisiens fortunés !

France Martin-Monier - 12 janvier 2023

« La campagne parisienne est le pays de la vie heureuse ; Versailles en est la perle. Depuis les murs de Paris jusque dans Versailles, la route est une promenade. Dans les rues et les larges avenues de l’heureuse cité de Louis XIV, le regard n’est nulle part arrêté que par la verdure des bois qui entourent la ville. Les vingt-cinq minutes de chemin de fer ou d’automobile qui la rattachent à Paris lui permettent de prendre part à la vie parisienne et de jouir en même temps des bienfaits d’un air pur et des attraits d’une foule de sites curieux ou pittoresques. On s’explique alors que tant de personnalités parisiennes, même lorsqu’elles ont à Paris des occupations journalières, aient choisi la ville de Versailles pour y fixer, pendant la belle saison, la résidence de leur famille»

Voici comment nous est décrit Versailles dans un ouvrage édité en 1910 intitulé “Les promenades des environs de Versailles”.

Les terres de Clagny et de Glatigny, restées longtemps presque inhabitées, voient leurs premières maisons s’élever de terre dans la deuxième moitié du XIXe siècle dont celle du 6 rue Solférino. Elles deviennent un lieu de villégiature pour parisiens fortunés.

 zOOm a retracé pour vous l’histoire du quartier aujourd’hui résidentiel, à travers la construction de cette demeure.

Une maison édifiée sur l’ancien domaine du château de Clagny

Dans ses Mémoires (1739-1749), le duc de Saint-Simon décrit le site de Versailles comme « le plus ingrat de tous les lieux, sans perspective, sans bois, sans eau, sans terre ».

Le village de Versailles est situé au sein d’une vallée marécageuse, bordée par les bois de Marly et de Fausses-Reposes et les coteaux de Satory. Le fond de la vallée est bosselé et divisé en de nombreux terroirs. La seigneurie rachetée par Louis XIII occupe une de ces buttes, le village s’étendant en contrebas. Le site est encadré à l’est par le bourg de Montreuil, siège d’une prévôté, et les fonds humides de Porchefontaine, et à l’ouest, par des étangs et des marécages.

Antoine Aveline, collection château de Versailles

Vue perspective du château de Clagny sur le jardin et l’étang, © Antoine Aveline, collections château de Versailles

Le château de Clagny est placé entre la rue Duplessis actuelle, et la rue du Parc-de-Clagny, le centre se trouve à peu près sur le boulevard de la Reine, les deux ailes s’étendant, l’une du côté du lycée Hoche, l’autre sur le chemin de fer. Il est commandé en 1674 à l’architecte Antoine Le Pautre (1621-1679) puis à Jules-Hardouin Mansart (1646-1708) à l’intention de Mme de Montespan, maîtresse et favorite du roi Louis XIV.

La terre de Clagny n’est pas d’une grande étendue quand Le Nôtre est chargé de tracer le jardin du château de Clagny : il fait observer à Louis XIV la difficulté de faire quelque chose de bien dans un si petit espace. Le roi fait alors l’acquisition de la propriété de Glatigny, beaucoup plus considérable, la réunit à Clagny, et Le Nôtre peut alors donner un libre essor à son génie.

Madame de Sévigné, allant peu de temps après sa création visiter le château de Clagny, écrit à sa fille, dans une lettre du 7 août 1675 :

« Nous fûmes à Clagny : que vous dirai-je ? C’est le palais d’Armide*. Le bâtiment s’élève à vue d’œil, les jardins sont faits. Vous connaissez la manière de Le Nostre ; il a laissé un petit bois sombre qui fait fort bien ; il y a un bois entier d’orangers dans de grandes caisses ; on s’y promène, ce sont des allées où l’on est à l’ombre ; et pour cacher les caisses, il y a des deux côtés des palissades à hauteur d’appui, toutes fleuries de tubéreuses, de roses, de jasmins, d’œillets ; c’est assurément la plus belle, la plus surprenante et la plus enchantée nouveauté qui se puisse imaginer ; on aime fort ce bois. »

La disgrâce de la favorite en 1683 entraîne l’arrêt complet des travaux du château et la décoration intérieure reste inachevée. Celui-ci est détruit en 1769 au motif que « le défaut d’entretien y a occasionné des dégradations qui ne pourront être rétablies sans des dépenses très considérables » et en raison de la nécessité d’agrandir la ville de Versailles. L’étang de Clagny qui s’étendait du bassin de Neptune à l’actuel boulevard de la Reine jusqu’à la gare Rive Droite, sera asséché en 1735. Son emplacement formera le quartier des Près. Cet étang fonctionnera comme un réservoir d’eau au XVIIIe siècle.

Petit à petit, Clagny évolue car les parcelles de terrains sont vendues à des particuliers qui n’hésitent pas à bâtir dessus. Des routes sont percées comme le boulevard de la Reine en 1773 ou l’avenue de Picardie en 1779. Une partie du domaine, du côté de Glatigny, est conservée par Louis XVI pour y établir une réserve de gibier.

Le 4 mars 1795 une nouvelle adjudication est faite au citoyen Béchet qui récupère la majeure partie des terrains de Clagny pour ensuite les revendre. Quant à la terre de Glatigny, c’est le citoyen Fleury qui la récupère sans toutefois y toucher, elle garde donc l’aspect qu’a connu Madame de Montespan un siècle plus tôt. La situation reste ainsi jusqu’en 1857.

© Art Shooting/Gwenola de Crémiers

Marquise en fer forgé © Art Shooting/Gwenola de Crémiers

La construction d’un quartier de villégiature par Jean-Prosper Gauthier

Le 9 juillet 1836, la construction de deux lignes de chemin de fer, qui relieront Versailles à Paris, est lancée. La gare de Versailles Rive Droite (ligne de Saint-Lazare) est inaugurée en 1839, celle de Versailles Rive Gauche (conduisant aux Invalides) en 1840. Ce réseau est complété en 1849 par la création de la gare de Versailles Chantiers, d’où partent des trains pour Montparnasse. L’arrivée du chemin de fer à Versailles ne va pas transformer la commune en ville industrielle mais elle va y amener les « foules du dimanche ». Versailles devient une ville d’animation et de loisirs pour les Parisiens.

Le quartier est créé à la place du parc forestier de Clagny à partir de 1857 par trois hommes : Jean-Prosper Gauthier, Leroux et Coëffier. Le terrain sur lequel est édifié en 1858 la maison du 6 rue Solférino est un terrain de prairies et de bois qui appartient à Jean Prosper Gauthier (1820-1896), greffier en chef du Tribunal Civil de Versailles et promoteur immobilier.

Par arrêté municipal du 28 février 1860, Monsieur Barthe, maire de Versailles, baptise les voies privées du nouveau quartier de Clagny en hommage aux victoires franco-sardes : naissent alors les rues Magenta, Solferino et Montebello. Elles deviendront voies publiques par la suite.

Les habitants se dotent d’une chapelle, la chapelle de Clagny, à l’angle des rues de Villeneuve-L’Étang et du Parc-de-Clagny car les paroisses Notre-Dame ou Saint-Symphorien sont trop loin selon eux. Cette chapelle, en pierre meulière avec un petit porche surmonté d’un campanile de style italien, a pour architecte Léon Salleron (1820-1904). Ouverte le 11 septembre 1866, elle réunit 150 personnes chaque dimanche. Elle est aujourd’hui une salle de réunion.

Jean-Prosper Gauthier se fait appeler Gauthier de Clagny, très fier de la réussite de son nouveau quartier : en 1880, il y a plus de 140 maisons.

© Art Shooting/Gwenola de Crémiers

Façade coté jardin 6 rue Solférino © Art Shooting/Gwenola de Crémiers

Une demeure de style néoclassique

Caractérisé par sa symétrie, son élégance et sa simplicité, le style néoclassique connaît un succès intemporel qui s’étire tout au long du XIXe siècle. On le retrouve encore au XXe siècle. Le rythme des travées est la plupart du temps impair, ce qui permet de placer la porte au milieu de la façade. C’est un héritage des préceptes des architectes du XVIIIe siècle selon qui le contraire serait « offenser le bon sens ».

Cette demeure de style néoclassique est construite en moellons recouverts d’un enduit clair qui permet une discrète décoration en relief. Elle a un toit en ardoise à quatre pans, qu’on appelle à croupes.

Un soin particulier est apporté à la marquise, auvent vitré à charpente de fer, qui protège l’entrée et met en valeur le style de la maison. Destinée à abriter le visiteur sous ses élégantes dentelles de verre, elle remplace l’appentis en bois devenu vil aux regards de la modernité du métal ou du fer.

La maison est ainsi désignée dans les différents actes de propriété : « un principal corps de bâtiment élevé sur cave, un rez-de-chaussée et deux étages, couvert en zinc et ardoise. Le rez-de-chaussée comprend vestibule, escalier, cuisine, salle à manger, grand et petit salons. Le premier étage se compose de trois chambres à coucher, une lingerie, un cabinet de toilettes et un cabinet d’aisances, le second étage de trois chambres à coucher et une salle de bains. Il existe un calorifère chauffant toute la maison, un jardin dans lequel existe un petit bûcher, un cabinet d’aisance, un puits avec une pompe et un grand réservoir. La cour est fermée sur la rue par un mur à hauteur d’appui surmonté d’une grille. Il existe une concession d’eau de Seine alimentant quatre bouches d’arrosage dans le jardin au moyen d’un réservoir. »

Elle connaît 11 propriétaires dont un chanoine, Dominique Forgue, qui acquiert la maison en 1882. En 1948, la Société Indochinoise des Plantations Réunies de Mimot à Saïgon fera construire l’extension de la bibliothèque. Cette société, constituée en 1927, avait pour objet la plantation et la culture du caoutchouc sur un domaine de 5 012 hectares situé en Indochine.

On citera Marcel Paternot (1912-1993), député du département d’Alger à l’Assemblée nationale du 17 juin 1951 au 1er décembre 1955, propriétaire de la maison de 1951 à 1956.

En 1966, des arbres magnifiques sont plantés par l’entreprise Moser, horticulteurs d’origine suisse alliés à la famille Truffaut, installés à Versailles, dont le fleuron est de vastes cultures de rhododendrons, « les plus grandes du continent », se vantent la famille Moser. La surélévation sur la terrasse de la bibliothèque, l’ouverture d’une véranda sur la cuisine coté jardin, les aménagements extérieurs et l’ordonnancement d’aujourd’hui à la fois symétrique dans une perspective et à l’anglaise dans une autre sont réalisés à la demande des actuels propriétaires par le paysagiste et décorateur Jean-Christophe StoerkelLes topiaires, les hortensias blancs, le bassin, la serre, les agrumes et un admirable ginko biloba réjouissent la vue.

*Palais d’Armide : se dit d’un palais magnifique, de superbes jardins par allusion au palais et aux jardins de l’enchanteresse Armide qui détenait le chevalier Renaud décrit dans le poème « La Jérusalem délivrée » de l’italien Il Tasso, écrit en 1580.

© Art Shooting/Gwenola de Crémiers

Jardin 6 rue Solférino © Art Shooting/Gwenola de Crémiers

zOOm vous conseille une virée dans le quartier même si l’air pur n’est peut être plus celui de 1910 ! Cela vous amusera d’y admirer les traces du passé : la maison natale au 42 avenue Villeneuve l’Etang de Georges Lacombe (1868-1916), peintre et sculpteur appartenant au groupe des Nabis ; stèle à l’effigie de Prosper Gauthier de Clagny dans le square du même nom ; au 4 rue René Aubert, la maison dans laquelle a résidé ce peintre et lithographe de 1914 à 1977, le château de la Maye au 49 rue du parc de Clagny construit en 1883 par l’architecte Edmond Toutain sur demande de son propriétaire, le banquier parisien Alexandre Lange de Montfermeil (habité notamment en 1937 par le duc et la duchesse de Windsor après l’abdication de celui-ci puis par le roi Zog et la reine Géraldine d’Albanie en exil), ou encore la chapelle achevée en 1890 du lycée Saint-Jean Hulst (auparavant Saint-Jean de Béthune), chapelle et lycée bâtis sur la propriété du comte et de la comtesse de Béthune-Pologne achetée en 1761 et dont les descendants se dessaisirent en 1881 au profit de l’école Saint-Jean tenue par la congrégation des pères eudistes. Empruntez pour vous y rendre la rue du Maréchal de Lattre de Tassigny autrefois rue de Béthune, « un chemin boueux, défoncé en hiver, poussiéreux en été ».

Et vous, connaissez-vous l’histoire de votre quartier ?

Retrouvez notre autre article sur une demeure versaillaise : celle d’Édouard Charton.

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Photo à la une : © Art Shooting/Gwenola de Crémiers

 

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