Versailles : terre de conquête pour Edouard Charton !
” Toutes les fois qu’un Parisien vous demande quelle ville vous habitez et que vous répondez : Versailles, il vous regarde avec une sympathie qui vous alarme. “Mais, s’écrie t’il, c’est une ville morte”. Sur quoi, vous vous tâtez pour savoir si vous êtes encore en vie. Le Parisien se recueille et dit : ‘Versailles, admirable sépulture !”… et bien donc, que les Parisiens nous accordent que nous existons, on verra à leur accorder que c’est une existence d’une autre sorte.”
Voilà les réactions d’un Parisien racontées par Ernest Bersot, ami d’Edouard Charton quand celui-ci décide de quitter Paris et de s’installer au 15 de l’actuelle rue Edouard Charton en 1862.
Mais savez-vous qui est Edouard Charton et connaissez-vous l’histoire de son hôtel particulier dans le quartier Saint-Louis ?
zOOm est allé, pour vous, pousser le porche du 15 rue Edouard Charton et interroger les actuels propriétaires.
Entrée du 15 rue Edouard Charton ©Art Shooting/Gwenola de Crémiers
Edouard Charton, écrivain et homme politique
C’est au sein de deux sociétés philanthropiques auxquelles il collabore (la société pour l’instruction élémentaire et la société de la morale chrétienne) qu’Edouard Charton comprend l’importance de l’instruction.
Il débute en 1833 un carrière de directeur de publication avec “le Magasin pittoresque”, hebdomadaire illustré. Charton est convaincu que : “sans les dessins, il est impossible d’arriver à l’éducation complète des hommes, grands et petits…”.
Fidèle à son objectif d’instruire le grand public par le texte et par l’image, il publie sous le Second Empire deux ouvrages consacrés, l’un à la découverte progressive du monde, “Voyageurs anciens et modernes” (1854-1857), l’autre à l’histoire de la France, “Histoire de France par les monuments” (1859-1862).
En 1848, il devient secrétaire du ministre Hippolythe Carnot au Ministère de l’Instruction publique.
Il fonde en 1860, un journal illustré des voyages contemporains, “le Tour du Monde”, et crée, en 1864 avec Louis Hachette, la collection de la “Bibliothèque des Merveilles” dont les volumes diffusent les connaissances les plus récentes sur les sujets les plus divers. Ces ouvrages connaissent beaucoup de succès et trouvent leur place dans les bibliothèques populaires qui se multiplient à partir des années 1860.
Il devient membre correspondant de l’Institut de France en 1867
Il est élu député de l’Yonne en 1871 et sénateur en 1876 et 1881. La consécration lui vient avec son élection à l’Académie des Sciences morales et politiques en 1876.
Sa tombe se trouve au cimetière Saint Louis de Versailles. Le musée de Sens conserve son buste, œuvre du sculpteur Henri Chapu.
Sa demeure vue du jardin avec la galerie au premier plan ©Art Shooting/Gwenola de Crémiers
Un homme qui apprécie sa demeure versaillaise !
Edouard Charton habite le 15 rue Edouard Charton de 1862 à 1890 avec sa famille (ses 3 enfants, Julie née en 1838, Jules-Jean en 1840 et Juliette née en 1852) motivant l’appellation actuelle de la rue où est située cette demeure.
Il inaugure un nouveau mode de vie peu courant à l’époque qui sera adopté ensuite par de nombreux Parisiens qui, profitant des facilités de transport (la gare Rive Droite est inaugurée en 1839, la gare Rive Gauche l’année suivante, une troisième gare, celle des Chantiers, est inaugurée en 1849) décidèrent de vivre en dehors de la grande ville où ils exercent leurs activités.
Charton “apprécie l’espace dont il peut disposer dans sa maison, la présence d’un jardin et d’une cour où il y a de quoi se retourner, s’occuper, élever des bêtes, planter des légumes“.
Au XVIIème siècle, il n’y pas de construction sur ce terrain du Parc aux Cerfs : une rue existe qui s’appelle la rue des Mauvais Garçons qui deviendra la rue Molière puis la rue Saint Martin.
Les étangs Gobert, réservoirs d’eau, sont creusés en 1680.
En 1757, Louis XV donne ce terrain à l’un de ses apothicaires Augustin Prat, afin de créer un laboratoire et un jardin botanique et celui-ci construit le premier logis dont nous pouvons aujourd’hui encore admirer tommettes et poutres. Nous pouvons citer comme propriétaire illustre l’avocat de Louis XVI, Monsieur de Lamoignon Malesherbes et son épouse Agathe.
Un autre bâtiment est crée entre 1813 et 1828 par l’abbé Denis François Picot. Celui-ci relie les deux bâtiments vers 1820 pour n’en former plus qu’un, que nous pouvons admirer aujourd’hui.
L’escalier extérieur et le perron sont couverts par la grande galerie accolée à la façade par la famille Cesbron-Lavau qui acquiert la propriété en 1913.
Constantin Papachristopoulos (1906-2004), dit “Costi”, élève de Bourdelle et sculpteur figuratif acquiert la demeure en 1955 et fait construire l’atelier dans le jardin en 1957.
Cette demeure va servir de décor au film de François Moreuil et Fabien Collin : “la récréation” (1961) avec Christian Marquand et Jean Seberg, ce qui est l’occasion pour l’artiste de réaliser un buste de l’actrice. Aujourd’hui encore, nous pouvons admirer dans la demeure quelques sculptures de “Costi” : un Saint Paul, une Vénus et un satire.
Photos du film, Christian Marquand et Jean Seberg dans la galerie ©Archives La Combe
Habités par une famille nombreuse (7 enfants), le parc et la maison sont investis par chacun, animaux compris. Les enfants m’indiquent leur lieu préféré qui, le salon de musique, qui, la bibliothèque ou le bureau; dans lesquels ils jouent et travaillent. Si parfois les différents escaliers, les 4 niveaux sont pour la mère des famille un vrai challenge en terme d’organisation et de vie commune, celle-ci ne regrette pas d’avoir choisi ce lieu si plein d’histoire.
Galerie et sculptures de “Costi” ©Art Shooting/Gwenola de Crémiers
Un Versaillais souhaitant permettre à chacun d’accéder au savoir !
Il fait partie du Conseil municipal de Versailles de 1866 à 1874.
Il met en place un enseignement public pour les filles, crée une bibliothèque populaire et organise des cours, des conférences et des lectures du soir pour le grand public.
C’est le 15 décembre 1864 qu’est officiellement inaugurée la bibliothèque populaire de Versailles, dans un local modeste au 64 rue de la Paroisse, une pièce meublée d’une table et deux chaises. Elle est gérée par la «Société de la Bibliothèque populaire de Versailles», dirigée par Édouard Charton sous la présidence honorifique du maire de la ville, Pierre Ploix.
Cette bibliothèque attire la population ouvrière de la ville, mais séduit aussi les étudiants, les employés, les commerçants, les rentiers, ainsi que les militaires qui sont nombreux à Versailles. Le nombre de lecteurs passe de 2 000 à plus de 8 000 entre 1865 et 1873.
Elle est parmi les pionnières pour l’accueil du lectorat féminin.
Deux éléments favorisent l’accueil d’un nombreux public : d’une part le prix modique de l’inscription (1 franc) et de l’abonnement (50 centimes par mois), d’autre part les horaires d’ouverture qui sont de 19h à 21h en semaine, à partir de 14h les dimanches et jours fériés.
La Bibliothèque populaire semble correspondre autant au vœu des élites locales qu’à une demande de la population, et s’impose rapidement dans le paysage des institutions éducatives et culturelles de Versailles dans le dernier tiers du XIXème siècle.
Salons et atelier dans le jardin ©Art Shooting/Gwenola de Crémiers
Maintenant que vous êtes fort instruit d’Edouard Charton, n’hésitez pas à venir admirer son buste dans le hall de l’hôtel de ville et, même si la demeure de celui-ci est privée, promenez-vous dans le quartier Saint-Louis et dans la rue Edouard Charton en vous remémorant toute cette histoire !
Photo à la Une ©Art Shooting/Gwenola de Crémiers